«  Atomic Bomb  »  ; morceaux choisis…

David Calvo & Fabrice Colin : "Atomic Bomb"

[…] Collins me donna un coup de coude dans les côtes.

«  Ne te retourne pas.

— Pourquoi, qu’est-ce qu’il y a  ?

— Le dauphin… il nous a suivis.  »

Une goutte de sueur froide me glissa dans le dos. Ainsi, ils étaient au courant  : les Dauphins étaient au courant. De toute évidence, ces enculés ne nous laisseraient pas réveillonner tranquille. on n’avait pas le choix. Il fallait les éradiquer.

«  Où est-il  ?

— Déguisé en agent de la sécurité.  »

Je tournai la tête. Effectivement, ce bâtard était là, à nous lorgner. Il avait vraiment une sale gueule de mammifère marin.

«  Comment on fait  ?  » me demanda Collins, en se rongeant les ongles.

«  J’ai un plan  : tu fais diversion sur la scène, et moi, je lui saute dessus et je l’égorge avec ça.  »

Je sortis mon ouvre‑boîtes. Les yeux de Collins scintillèrent, et je hochais la tête dans sa direction. Il commença à bouger vers la scène. En le voyant s’éloigner, je me demandais comment nous avions pu nous comprendre avec tout ce boucan dans nos oreilles. Frankie chantait en faisant du scat, sa main allait et venait entre chaque mot, et, l’espace d’un instant, je crus reconnaître l’air d’une chanson que nous avions composée, Collins et moi, dans une chambre d’hôtel de Madagascar, en plein trip d’éther. Ça ne m’étonnait pas  : Collins et moi sommes des génies. Nos idées, en libre circulation sur les fleuves de l’inconscient collectif depuis que les drogues ont remplacé nos cellules, forcent l’imaginaire des plus grands. Le beat, c’est nous. La défonce, c’est nous. Le surf-rock, pff. Dans ses rêves de grandeur, Aldous Huxley nous mange dans la main.

Les doigts serrés sur mon ouvre‑boîtes, j’évoluais dans la foule mouvante, les yeux fixés sur ma proie. Le dauphin ne bougeait pas. Ses nageoires croisées, il regardait les barrières qui séparaient le public de la scène. Des fois, son bec dodelinait sur la musique. Puis Collins passa à l’action. Sautant par‑dessus la barrière, il bondit sur la scène, un garde du corps sur les talons. Je fonçai à mon tour et, prenant appui sur la barrière, me propulsais sur le dos du dauphin, qui se débattit pour me faire tomber. sur scène, Collins slalomait entre les musiciens. Plusieurs gardes du corps lui tombèrent dessus, mais il parvint à s’échapper. Le dauphin gesticulait et me poussait contre l’estrade pour me faire mal. Mais je tins bon  : je lui enfonçai ma lame dans le cou. Collins donnait des coups de pied dans les enceintes et narguait les gorilles en montrant son cul. La diversion avait l’air de fonctionner  : les types de la sécurité montaient sur scène, sous les vivats déchaînés de la foule, et Frankie, qui avait fermé les yeux, continuait de chanter. Tout ça commençait à devenir très intéressant. Le dauphin hurlait et se débattait, et Collins criait  : «  Vive Frankie  !  » en arrachant des instruments. Renversant barrière et gardes du corps, les jeunes montèrent sur scène à leur tour pour danser et se jeter dans la fosse, sur le ventre. Dans un dernier râle, alors que je touillais ce qui lui restait de cou, le dauphin s’écrasa dans l’allée, sans un souffle.

«  Et dis à ta copine la baleine de nous laisser tranquilles  !  » hurlai‑je, hors de moi. […]


[…] Nous sommes une race supérieure.

— Ah ouais  ? a rigolé notre copain. Supérieure en quoi  ?

— En tout, j’ai dit. Sans vouloir vous vexer, vous n’êtes jamais allés plus loin que votre propre satellite, alors que nous naviguons depuis des éons dans les méandres de l’espace‑temps. Votre NDT est risible.

— Bien dit renchérit Valk.

— Notre quoi  ?

— NDT. Niveau de Développement Technologique.

— Peut-être bien, a admis notre conducteur. Mais vous savez faire le chocolat aux noisettes  ?

On a fait signe que non, et ils nous a filé deux barres. Puis deux autres. Et encore deux autres. On a fini par admettre que nos deux civilisations était à peu près équivalentes.


— Ouais. Les Américains, ils s’en foutent du Japon. Les Japonais, ils vendent des Pokémon aux Américains pour se venger de la bombe atomique, et ça les fait bien rigoler. Seulement, qui c’est qui trinque dans l’affaire  ? C’est nous. Nous, les rats et les souris.

— Tu crois  ?

— C’est sûr ! D’où tu crois qu’ils viennent les Pokémon  ? C’est rien que des rats et des souris transformés par les types de Nintendo, c’est des vrais malades mentaux. […]

— Alors je vais te dire : il n’y a pas de Souris Noire ou de Main du Destin. Y a pas non plus de Bouddha ou de Jésus ou de conneries comme ça. Tout ça, c’est des trucs pour embobiner les gens. […]

«  On va aller faire exploser ces enculés de Nintendo  », j’ai dit. «  C’est la seule solution.  »