La session de Vipassana est terminée.
Un de mes contacts pour un projet récent m’a envoyé un email pendant ce temps, dont la traduction serait :
J’espère que ta méditation était… J’imagine qu’aucun mot utilisé ici (révélateur, productif, etc.) ne parviendra à exprimer ton expérience correctement.
Je suis reconnaissant d’avoir reçu cet email à mon retour vers le monde extérieur car je ne suis pas moi‑même certain des mots justes pour décrire ce que j’ai éprouvé là‑bas.
Je vais essayer de traduire cette expérience ici aujourd’hui afin de ne pas perdre de vue certains faits, avec de probables révisions dans le futur.
Un des enseignements et un des aspects les plus importants est l’Équanimité, dont le but est (très brièvement) d’éviter envie ou aversion envers quelque sensation, afin de libérer l’esprit de toute frustration (si ce que l’on désire ne se réalise pas) ou impuissance à agir et prendre en compte ce problème (si l’on craint les évènements à venir).
L’enseignement se concentrant surtout sur les sensations, je me suis vraiment senti submergé par des émotions que je devais constamment contenir à la place. Sans ordre précis, curiosité, tristesse, colère, espoir, emballement, frustration, rage, excitation…
Les sensations qui ont suivi étaient tout aussi variées : sourires, larmes, boxer un mur, enlacer les gens, beaucoup de danse des fesses, beaucoup de chaleur durant le second balayage du corps, quelques voiles de lumière blanche dans le vide de mes yeux clos, faim, et un esprit agité. J’étais bien trop distrait par de récents évènements pour vraiment pouvoir me concentrer pendant la méditation avec, je pense, une concentration moyenne de dix secondes. Avec un total de plus de cent heures, ça laisse la place à beaucoup de vagabondage dans des lieux fantastiques et de contrôle de son esprit. La meilleure expérience de méditation aura probablement duré autour de dix minutes ; je reviendrai sur la notion de durée plus tard.
Goenka explique dans l’un de ses premiers discours, probablement le deuxième ou troisième jour, que l’esprit est comme un singe sauvage qui vole de branche en branche, ce qui rend la concentration difficile. Un singe qui se déplace de branche en branche garde une direction générale ; dans mon cas, l’image de mon esprit que j’avais en tête à ce moment là était celle d’un chiot : Oh… Un écureuil ! (le chiot aboie) Attends… Écureuil… Arbre ! (le chiot va se soulager sur l’arbre) Et OooOOOOOH ! Les savates sur la terrasse ! (les savates deviennent le pire ennemi du chiot qu’il doit détruire, d’un regard de tueur et la fierté de défendre le territoire de son maître. Au revoir vos savates préférées…), …
La vie de tous les jours n’offre pas très souvent suffisamment de place à notre esprit pour se développer et réfléchir à son propre contexte. Dix jours de silence dans un lieu clos dénué de quelque distraction que ce soit génère un vide que notre esprit est plus que ravi d’occuper.
La notion de durée est toute relative ; n’est‑ce pas ? Dix jour ne sont rien dans une vie… sauf si l’on perd toute notion de temps.
Ma seule montre étant un téléphone que je ne regarde qu’occasionnellement lorsque nécessaire, je ne suis d’habitude pas inquiet à propos du temps puisque je l’ai aussi sur l’ordinateur lorsque je travaille, donc tout information utile est disponible quand nécessaire. Ceci étant dit, tout objet de valeur ou pouvant distraire (ordinateur, téléphone, lecteur audio, livre, carnet, …) étant stocké hors de porté au début de la session, on se retrouve sans notion de temps, si ce n’est le soleil. Avoir une cloche sonnée par l’équipe du monastère pour chaque activité comme seul point de référence dans votre journée est quelque chose d’assez incroyable : « Est‑ce que j’ai loupé le premier coup ce matin ? Est‑ce que je suis en ligne avec le planning ? » La surprenante conséquence durant les premiers jours aura été de me réveiller (je pense) autour de trois ou trois heure et demi du matin, la première cloche sonnant à quatre heure, et la première méditation commençant à quatre heure trente ; notre cerveau est fantastique. Le manque d’une représentation constante du temps le biaisera tellement que plusieurs personnes se demandaient quel jour et quelle date nous étions à la fin de la session. Je ne suis toujours pas sûr de comment se sont déroulés ces jours, malgré avoir compté les jours et fait quelques calculs rapides. L’organisation un peu confuse (déjà avant le début de la session) n’a probablement pas aidé dans ce sens, je dois avouer.
Au final, je n’ai rien vécu qui aura affecté ma vie de façon drastique, ni même de rêve lucide comme décrit par certains compagnons (ainsi que d’autres phénomènes que j’espère qu’ils décriront quelque part…), mais cette expérience confirme que le travail que j’ai commencé sur moi‑même il y a quelques années suit probablement la bonne direction, et que ce détour dans ma vie est certainement bénéfique. Elle m’aura également offert une vision condensée de comment certains évènements se sont déroulés récemment.
Comme conclusion, j’aimerais partager quelques points qui m’auraient sans doute aidé, ou que j’ai pu expérimenter :
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Parlez au professeur.
C’est d’autant plus important si l’on doute de soi ou de la technique, mais cela aide en général. Même s’il s’agit de poser une question qui semble stupide, on se sent mieux, ne serait‑ce que par la compassion manifeste que peut montrer le professeur, mais aussi car souvent, l’on n’est pas la première personne à confier ses démons
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Ne pas surestimer les tourments qui habitent votre esprit.
Ne pas parler pendant dix jours signifie que l’on est seul avec soi‑même (même s’il est toujours possible de parler au professeur ou à l’administration si l’on a un problème). Je conseille de suivre ce genre de sessions avec la motivation d’un détective qui analyse des traumatismes passés, plus que celle d’un soldat pris dans une guerre émotionnelle.
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Rester jusqu’au bout.
Tout le monde se sent découragé à un moment où à un autre. C’est normal. Ce ne sont que dix jours et on y survit. Si la colère ou la frustration monte : comme répété tout au long de la session, il suffit d’observer la situation et se concentrer sur la résolution du problème à sa racine avec le plus de calme possible. Il est probable que la raison avait été donnée auparavant ; il est juste plus facile de comprendre sans faire le lien entre savoir comment résoudre cette situation, et se trouver dans cette situation.
Ç’aura été une très bonne expérience, par ce que j’y ai appris et pour les gens que j’y ai rencontrés, brillant de calme et d’humanisme (spéciale dédicace à Vincent). J’espère que des actions positives pousseront des graines que nous avons semées là‑bas.
En ce qui me concerne, je vais probablement « méditer » sur le sujet pour quelques jours, et décider de la prochaine branche à saisir…
Soyons heureux… :)